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©Chris Cleave

Chris Cleave est un romancier anglais qui vit à Londres avec sa femme française et ses 3 petites têtes : 2 garçons et 1 fille.
Petitestetes.com vous fait partager quelques morceaux choisis de la vie de ce papa trentenaire en publiant certaines de ses chroniques écrites chaque semaine pendant 2 ans pour The Guardian inédites en France et traduites pour Petitestetes.com.

Pour en savoir plus au sujet de Chris Cleave, rendez-vous sur :
www.chriscleave.com

 

Dents de lait

Une chronique de Chris Cleave

La toute dernière compétition dans la classe de notre petit de six ans est de savoir quel sera celui ou celle qui perdra ses dents en premier. Bien que je ne sois pas un compétiteur né, j’ai eu une certaine satisfaction teintée de tristesse de constater que j’étais le gagnant. Il y a des choses - comme les couches de bébé et les crises de rage - que ma génération retrouve juste quand celle de mon fils en sort. Mais, avec les dents, il semble que je batte les jeunes de la nation à leur propre jeu. J’ai perdu quelques dents dans un rêve la nuit dernière, et me suis précipité dans la classe de mon fils pour montrer les trous béants. Quand enfin je me suis réveillé, j’étais surpris de voir que j’étais subitement redevenu un adulte.

Je ne reproche pas aux enfants de vouloir perdre leurs dents. Le look édenté est puissant, drôle et du genre pirate. Hier, après l’école, j’ai retrouvé notre fils en train de tester ses dents une par une, excerçant des forces terrifiantes pour tenter d’engendrer un mouvement. Il a sugéré que j’aille chercher la voiture pour qu’il puisse y attacher une de ses dents au pare-chocs avec un “assez gros bout de ficelle ou même un peu de corde” puis que je démarre. Je m’y suis opposé, moins pour des raisons de sécurité sanitaire que parce que ses dents sont encore bien accrochées, et que notre voiture a elle-même six ans et demi bien tassés, et qu’elle risquerait ainsi de devenir la première voiture dans notre rue qui perde son pare-chocs de lait.

“Rien ne presse,” lui ai-je dit. “Tes dents de lait bougeront quand elles seront prêtes à bouger.” Cela, comme tous ceux qui ont eu des dents le savent, ou tous les pères, est un mensonge condamnable. On peut aider les dents à bouger et les papas peuvent être amenés à enlever leurs doigts du bouton qui ralentit volontairement la marche du temps. Notre fils m’a donné un de ses regards perçants, mais cette fois, je ne suis pas revenu sur ma décision.

Vous vous rappelez comme les dents étaient quasiment aussi importantes que l’univers tout entier quand on avait six ans ? Etre le premier dans notre classe à les perdre, ou au moins ne pas être le dernier, était un sujet qui occupait bien plus notre attention que l’acquisition de l’écriture, ou la capacité à lire facilement les histoires dans lesquelles Biff, Chip et Kipper* souffrent d’une démangeaison hilarante à la brocante de l’église. Pour compenser le chagrin de notre fils à ne pas être probablement le premier de ses amis à perdre une dent, nous nous sommes assis avec lui et avons fait la liste des choses qu’il pouvait sincèrement espérer à chacun de ses prochains anniversaires. Les principales choses à noter furent : avoir un canif (à huit ans), aller seul à l’école (à neuf ans), et avoir une Nintendo DS (à 40 ans ou une fois que je serai mort, selon ce qui arrivera le plus tôt).

Alors que nous travaillions sur la liste, une étrange mélancolie nous a pris ma femme et moi. Notre garçon, à six ans, vient de franchir le seuil de l’enfance. Son raisonnement est soudain devenu très adulte, ses penchants tendent vers l’indépendance, et il ne désire rien d’autre que d’être plus âgé, plus vite. Alors qu’il se prépare à perdre ses dents, nous devons nous préparer à perdre l’exubérante présence potelée, rieuse et irrationnelle qui a été un pilier de notre vie depuis sa naissance. A sa place s’est brusquement matérialisé un garçon mince, réfléchi, plein d’entrain et effronté.

Nous n’aurions jamais imaginé que la transition serait si soudaine. Je suppose que nous avons des idées de lait de ce que la parentalité sera et bientôt elles vont bouger et tomber. A leurs places, nous trouvons des idées qui vont durer toute une vie avec un brossage adéquat, ou au moins jusqu’à ce que les enfants aient atteint l’adolescence. Je ne devrais pas être triste. Personne n’est mort, après tout : nous avons encore un bébé et un petit de trois ans avec lesquels faire les fous, et notre fils aîné est en train de devenir une belle personne. C’est juste que la nuit dernière avec le rugissement du vent dans les arbres, et la pluie qui tombe, et les feuilles qui se préparent à l’automne, j’ai rêvé que toutes mes dents tombaient.

*équivalent à des personnages comme Tom Tom et Nana

     

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